Si l'usine Delebart-Mallet
m'était contée

 

Entreprises

 

Voici le texte que nous a adressé Robert Taymans, suite à l'article, concernant l'usine Delebart-Mallet de Mons-en-Barœul, paru dans la revue municipale « Mons et Vous ».

 

C'était une filature appartenant au groupe Delebart-Mallet. À son apogée, il comprenait dix usines travaillant principalement le coton. La filature et retorderie de Loos-lez-Lille fut reconstruite après avoir brûlé en partie en 1940, lorsqu'elle avait servi de bastion de résistance face à l'invasion allemande. Les bâtiments ont fait place de nos jours à un centre commercial. La filature d'Esquermes à Lille, sise à l'angle du boulevard Montebello et de la rue des Stations, est aujourd'hui reconvertie en immeubles d'habitation et de bureaux. La filature et retorderie de Mons-en-Barœul a fait place aux ateliers Peugeot. La filature de la rue Chanzy à Hellemmes fut détruite par des bombardements pendant la seconde guerre mondiale. La retorderie d'Hellemmes a également fait place à des immeubles. Elle était voisine de la Busetterie d'Hellemmes, démolie. On y fabriquait les tubes de papier pour supporter le fil de La Cotonnière d'Hellemmes rue Salengro, plus connue sous le nom « Les Anglais », souvent confondue avec la Cotonnière de Fives construite, elle, à La Madeleine. Allez donc savoir ! Les bâtiments existent toujours, mais cette usine a connu une fin de vie difficile. Une filature à Fraismarais, près de Douai, construite en 1952, est aujourd'hui reconvertie en hôtel d'entreprises. Un tissage et une unité de tricotage à St Quentin sont devenus une supérette. En somme une version actualisée de grandeur et décadence.

 

Dire que ce groupe avait fait place dans son capital à la Fine Spinners and Doublers de Manchester est une façon de voir les choses : ce sont les audits de la FSD qui contrôlaient Delebart-Mallet et modelaient les états majors. Plus tard le groupe anglais Courtauds achètera la FSD ainsi que la Lancashire Cotton et devint ainsi propriétaire des usines Delebart-Mallet. Mais la filature de Mons-en-Barœul était déjà disparue car elle ne correspondait plus aux critères de productivité de 1950.

 

C'était une filature de coton, une usine traditionnelle de l'époque. Les machines étaient réparties sur cinq niveaux. Au rez-de-chaussée, la préparation qui comme son nom l'indique préparait le coton brut pour le présenter sous forme de mèches. Au premier, second et troisième étages la filature proprement dite, transformait les mèches en fils. Enfin, au quatrième la retorderie qui retordait plusieurs fils pour les besoins du tissage. C'était une filature de coton peigné. À partir d'un coton brut venu d'Egypte, du Soudan ou de See Island dont certaines fibres mesuraient plus de 40 millimètres de long, cette usine fabriquait des filés fins, c'est-à-dire des filés dont un gramme contenait entre 180 et 300 mètres de fil ! Ces filés servaient principalement à confectionner des voiles et des dentelles.

 

La préparation du coton brut demandait plusieurs opérations réalisées par du matériel aux noms évocateurs. Le coton brut arrivait en « balles » d'environ 150 kilos de fibres de coton comprimées à la presse hydraulique afin d'en diminuer le volume. Dame, cette matière première arrivait par voie maritime de ces pays lointains. C'est le brise balles qui ouvrait grossièrement ces balles de coton comprimé de façon à en permettre le mélange réalisé à la main. Le mélange était nécessaire puisqu'il permettait d'obtenir un produit fini correspondant à certains standards à partir de cotons d'origines diverses et donc de coûts différents.

 

 

A l'époque, le profil se faisait grâce aux achats judicieux de cotons et à leur mélange. C'est donc sous forme de lambeaux de nappes épaisses que le coton était avalé par le batteur. Plusieurs volants munis de pointes d'acier et tournant à grande vitesse battaient les fibres pour les présenter en nappes d'environ 10 cm d'épaisseur enroulées sur elles-mêmes. Le batteur était la machine dangereuse par excellence. Les pointes d'acier, bien que protégées par des garants, ne pardonnaient pas aux mains et bras qui se risquaient de se promener près d'elles ; de plus le moindre morceau de métal mélangé aux fibres et projeté à grande vitesse engendrait des étincelles, lesquelles déclenchaient parfois des incendies.

 

Les rouleaux de nappes arrivaient ensuite aux cardes, qui démêlaient les fibres pour former un voile puis un ruban. Ces rubans étaient successivement traités par des étirages, des peigneuses puis des bancs à broches. On disposait alors d'une mèche de quelques millimètres de diamètre qui partait en filature. Toutes ces machines, nous l'avons déjà souligné, étaient dangereuses. Toutes présentaient des éléments métalliques tournant à grande vitesse plus ou moins bien protégés. Il convient également de reconnaître que les ouvriers et ouvrières intervenaient parfois de leur propre initiative sur ces éléments, bien que cela fût interdit. Mais les protections automatiques n'étaient pas à cette époque ce qu'elles sont aujourd'hui. Les risques de scalp et d'amputation n'étaient pas négligeables.

 

La filature était équipée de renvideurs encore appelés self acting ou mule pattyn. C'étaient d'étranges machines longues parfois de 25 mètres recevant leur force motrice en leur centre. Elles comprenaient une partie fixe qui supportait les bobines de mèches et une partie mobile qui avançait lentement sur près d'un mètre et qui supportait les broches recevant le fil. En quelque sorte, ces machines reproduisaient mécaniquement les gestes de la fileuse actionnant son rouet.

 

 

Les ouvriers devaient donc installer les bobines de mèches et surveillei le mouvement du renvideur à filer pour éventuellement réparer les casses de fils. Un vra ballet ! Le fileur, véritable patron de sa machine, était aidé par un rattacheur et souvent d'ur petit rattacheur autrement dit un apprenti. À la sortie de la filature le fil pouvait être considéré comme un produit fini et utilisé tel quel par le tissage. Toutefois on l'améliorai! grâce à des opérations complémentaires. La retorderie, avec des renvideurs simplifiés retordait deux fils ensemble afin d'augmenter leur solidité.

 

Le finissage, dans un bâtiment annexe situé au rez-de-chaussée comprenait différentes machines permettante présenter le fil en bobines ou écheveaux après lui avoir fait subir, le mot n'est pas trop fort, différentes opérations. Ainsi, le gazage consistait à faire passer le fil à grande vitesse au travers d'une flamme afin de le débarrasser des « poils » inutiles ou l'épuration pour laquelle le fil passait entre deux lames d'acier espacées de quelques millièmes de pouce. Dame, la Fine Spinners étant anglaise, certaines mesures l'étaient aussi. Le bobinage, le dévidage permettaient des présentations diverses, bobines, écheveaux pour la teinture, facilitant toutes les autres opérations qui transformeraient le fil de coton peigné fabriqué à Mons-en-Baroaul en tissus, voiles, dentelles. Mais ceci est une autre histoire et une histoire d'autres lieux.

 

Dans d'autres ateliers, les spécialistes préparaient ou réparaient les accessoires des machines. Ici on recouvrait des cylindres métalliques d'une fine pellicule de cuir de veau collée à la gomme arabique ou à la colle de poisson. Les bords étaient arrondis à l'aide de lamelles d'os, du bio avant l'heure ! Ces cylindres permettaient le contrôle des fibres et fils car dans de nombreuses machines de préparation et dans toutes les machines de filature les fibres étaient pincées entre deux cylindres. Essayez donc de pincer des fibres entre deux cylindres métalliques même cannelés ! Il fallait bien que l'un d'entre eux soit recouvert de quelque chose ; à l'époque on avait trouvé le cuir de veau.

 

 

La filature de Mons-en-Baroeul devait compter environ 30 000 broches ce qui représentait sans doute 145 000 cylindres à regarnir régulièrement. Ailleurs on regarnissait les peignes : il s'agissait de souder à l'étain des aiguilles d'acier d'un demi-millimètre de diamètre et d'une longueur de 10 millimètres. On en soudait environ 500 côte à côte sur une barrette. Un vrai travail de patience. Et il y avait la forge, autrement dit l'atelier de mécanique où à l'époque on forgeait encore certaines pièces, où l'on regarnissait de « régule » les paliers, les roulements à billes étant peu utilisés lors de la construction de l'usine. La forge était aussi le lieu de rencontre, le seul endroit où l'on pouvait en griller une en cachette car partout ailleurs le risque d'incendje était réel, notamment à cause du coton-poudre ce déchet qui se répandait partout. À l'époque pas de débat sur fumeurs ou non fumeurs sur le lieu de travail: on ne fumait pas. Point final.

 

Ce qui était également spectaculaire dans ce type d'usine, c'était bien la production et la transmission de la force motrice. La filature disposait d'une machine à vapeur : « La Machine ». Cette machine à vapeur était en fait l'âme de la filature : une panne et toute l'usine s'arrêtait. Elle comportait deux cylindres de deux mètres de diamètre extérieur recevant la vapeur d'une énorme chaudière alimentée au charbon. Depuis chaque cylindre, un piston actionnait une bielle qui transmettait le mouvement rectiligne et alternatif à un volant de 5 à 6 mètres de diamètre ce qui rendait le mouvement circulaire et continu.

 

 

De cet énorme volant partaient des câbles de coton qui transmettaient ce mouvement aux poulies installées à chaque niveau. Qu'elles soient situées au rez-de-chaussée ou dans les étages toutes les machines recevaient leur force motrice par tout un jeu de poulies et courroies disposées dans le couloir à câbles. Imaginez un couloir accolé au bâtiment principal sur toute sa longueur et sur toute la hauteur des cinq niveaux.Cette installation permettait la transmission de la force motrice depuis la machine à vapeur.

 

La filature était aussi dotée d'une grande cheminée, le « Ballot» qui assurait à la fois le tirage et l'échappement pour la chaudière, ainsi que d'une bizarre pyramide tronquée, construite en bois : le réfrigérant. Cette tour recueillait la vapeur qui se condensait et redevenait : eau. Une eau que l'on utilisait pour alimenter la chaudière. Des installations identiques étaient utilisées dans les houillères pour descendre et monter les « cages » dans les puits de mine. Certaines atteignaient une puissance de plus de 2500 HP.

 

Tous les ans le 9 mai, jour de la Saint-Nicolas d'été, tout le personnel fêtait le Broquelet. Ce jour là, Mons-en-Baroeul et la région connaissaient l'une de leurs plus grandes fêtes populaires. C'était initialement la fête patronale des dentellières (le nom de Broquelet vient de « broques », terme désignant les fuseaux avec lesquels la dentellière croisait et tordait les fils sur son carreau ou son coussin). C'était devenu la fête de tout le textile. Le lundi était chômé, mais pour la fin de la semaine précédente les machines avaient été nettoyées, enjolivées (certaines colonnes métalliques étaient poncées à la toile émeri de façon à dessiner des spirales). Chaque fileur voulait présenter le plus beau métier et des primes étaient distribuées. On remettait les médailles du travail. Sans doute que de nos jours ces pratiques seraient critiquées. Peut-être. Elles avaient le mérite de mettre en valeur la notion du travail bien fait et l'amour du métier. La fête a plus ou moins été maintenue jusqu'au milieu du XX eme siècle, puis elle a disparue : pourquoi fêter une industrie qui n'existe plus ?

 

Lors des deux conflits mondiaux, la filature fut occupée par l'armée allemande. En 1918 un officier occupait une chambre de la conciergerie. Entre 1942 et 1944 une batterie de flak était installée sur le toit.

 

Dans l'enceinte de l'usine existait un terrain de football, certes pas aux normes actuelles de l'UEFA, mais un vrai terrain avec ses vestiaires et un court de tennis. Durant la seconde guerre mondiale, l'endroit fut aménagé en jardins familiaux afin d'améliorer l'ordinaire du personnel.

 

Une partie des ouvriers logeait à proximité de l'usine dans les maisons construites avenue Virnot et avenue des Jardins. Ces habitations existent toujours. Elles ont été heureusement améliorées car à l'époque de leurs construction, vers 1930, l'éclairage était au gaz et seulement au rez-de-chaussée. Il fallait sortir pour accéder au point d'eau et aux toilettes et, comme le montre la photo ci-contre, l'hiver il neigeait. Les mines avaient leurs corons, nous avions nos cités ouvrières.

 

 

Ce genre d'industrie a cédé la place dans les années cinquante à des unités plus productives, utilisant d'abord les fibres de coton, puis les fibres artificielles ou synthétiques. Aujourd'hui nous disposons de tissus plus « techniques » plus « performants » qui rendent notre existence plus facile. Mais la dentelle et les voiles d'aujourd'hui sont moins arachnéens : de nos jours, il ne faut que 50 mètres de fil et non plus 300 pour faire 1 gramme. Le filé est donc 6 fois plus gros mais parfois moins solide. Cela ne gêne personne du reste.

 

 

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